Pain, farines & céréales : racines vivantes du terroir de Bergerac et du Périgord

24/10/2025

Un patrimoine céréalier au cœur du Périgord : savoirs, paysages et alimentation

Blé, seigle, maïs, petit épeautre... Les paysages du Périgord et du Bergeracois sont façonnés par la culture des céréales depuis des siècles. Aujourd’hui encore, champs dorés au vent ponctuent notre quotidien, témoignant d’un héritage agricole aussi solide que discret. S’intéresser au rôle des céréales, des farines et du pain ici, c’est aborder bien plus que des produits : c’est plonger dans une histoire sociale, paysanne et gastronomique, traversant les époques et révélant la vitalité de nos territoires.

De la rivière à la meule : la tradition céréalière du Bergeracois

Les archives locales l’attestent : dès le Moyen Âge, les moulins à eau jalonnent la Dordogne et actionnent meules et blutoirs. Au XVIIe siècle, pas moins de 600 moulins fonctionnaient sur l’ensemble du département (source : Archives Départementales de la Dordogne). On y produisait farine blanche pour les bourgeois, complète pour la population rurale – et ce pain, base de l’alimentation, structurant la vie sociale.

Les variétés paysannes dominaient alors : Petit Roux, Bladette de Bergerac, Rouge de Bordeaux... Le choix de la céréale donnait sa signature à chaque pain, variant au fil du terroir, de la qualité du sol et de l’année. Ainsi, la culture céréalière s’inscrivait dans une polyculture vivrière, associant vignes, vergers, élevages et prairies : l’agroécologie avant l’heure.

Le pain : mémoire et identité collective

Dans nos campagnes, le pain a longtemps été un bien précieux et symbolique. A la fois nourriture quotidienne (“le pain de ménage”) et expression de la fête (pain de Pâques, fougasses, galettes), il marquait les saisons et les rites locaux. On se souvient encore, dans certains villages, des fournées partagées dans le four banal, du “pain de seigle” qui se conservait tout l’hiver, ou du “pain perdu” devenu dessert d’enfance.

  • Chaque foyer entretenait son levain, garant d’une fermentation lente et d’une meilleure digestibilité.
  • Le pain marquait les événements familiaux : naissance (pain bénit), récolte (miche nouvelle), décès (pain du souvenir).
  • La place du boulanger était centrale : premier à travailler, il assurait l'approvisionnement du village.

Aujourd’hui, des initiatives de transmission (fêtes du pain, ateliers, blés anciens) perpétuent ces usages, tout en promouvant une alimentation locale, saine et accessible.

Panorama actuel : quelles céréales dans le paysage périgordin ?

Si la France reste l’un des premiers producteurs mondiaux de blé (35,6 millions de tonnes en 2022, source : Agreste), la Dordogne affiche une diversité singulière. Selon la Chambre d’Agriculture de Dordogne (chiffres 2022) :

  • Blé tendre : près de 22 000 hectares (majoritairement en polyculture)
  • Maïs : environ 30 000 hectares (grain et ensilage, souvent en rotation)
  • Seigle et épeautre : surfaces moindres mais en hausse (+13% entre 2017 et 2022)
  • Sarrasin : culture émergente, portée par la demande en sans gluten

Le choix de variétés anciennes revient, avec la création de filières locales appuyées par l’INRAE et des réseaux comme AgroBio Périgord : des blés rustiques adaptés au terroir, moins gourmands en intrants, plus riches en micronutriments.

Du champ à la meule : la filière locale des farines et ses enjeux

Production, moulins, meuniers : nouvelle dynamique

L’évolution des circuits courts redonne force aux petits moulins et à la transformation fermière. En Dordogne, on dénombre une dizaine de moulins artisanaux actifs, du moulin de la Veyssière (neuf générations en activité) aux ateliers plus récents portant la meunerie bio. À la clé, une offre de farines complète, semi-complète, intégrale, adaptée aux attentes des artisans-boulangers et des consommateurs.

  • Les farines “moulues sur meule de pierre” conservent davantage de nutriments et d’arômes (en particulier le germe de blé et les fibres).
  • Certains moulins travaillent exclusivement avec des céréales locales, cultivées selon le cahier des charges de l’agriculture biologique ou HVE (Haute Valeur Environnementale).
  • Les associations de producteurs se multiplient, sécurisant l’approvisionnement et la juste rémunération.

Label, traçabilité et sécurité alimentaire

La demande en produits locaux pousse au développement de farines labellisées (AB, Label Rouge, farine Label Sud-Ouest), à la traçabilité renforcée et à la publication d’analyses : taux de protéines, force boulangère (W), absence de pesticides.

Certaines initiatives, comme la marque collective “Filière Pain d’Ici” (lancée en 2018), rassemblent agriculteurs, meuniers et boulangers de Dordogne pour garantir l’origine, la qualité, et la juste répartition de la valeur ajoutée.

Boulangers et céréaliers en circuits courts : retour aux alliances paysannes

Le renouveau des pains locaux doit beaucoup à la volonté de quelques boulangers engagés, décidés à retrouver la maîtrise de leur matière première, du grain à la pâte. Depuis 2015, le nombre de “paysans-boulangers” progresse fortement : près de 25 exploitations en Dordogne en 2023 (source : Réseau Paysans Boulangers France).

  1. Un blé local, des farines traçables Les boulangers sélectionnent eux-mêmes les parcelles, suivent les essais variétaux, choisissent les modes de mouture.
  2. Levain naturel et longues fermentations Pratique généralisée en Dordogne parmi ces artisans, pour ses qualités nutritionnelles et digestives reconnues (source : Observatoire du Pain).
  3. Innovation gourmande et valorisation de la biodiversité Pain au blé noir, fougasse de maïs, tourte de seigle aux noix… Les recettes du terroir se renouvellent et s’enrichissent.

Le pain ainsi “reconnecté” à ses origines redevient un vecteur d’identité culturelle, d’innovation et de solidarité locale, à l'heure où 80% du pain consommé en France reste issu d’un circuit industriel (source : FranceAgriMer).

Les enjeux de demain : un terroir résilient grâce aux céréales

Transitions agronomiques : biodiversité et autonomie

L’enjeu actuel est double : garantir la viabilité économique des producteurs, et préserver la qualité agronomique et environnementale des terres. Miser sur la diversité céréalière – multiplication des variétés, adaptation au climat (résistance à la sécheresse), lutte contre l’érosion génétique – permet d’assurer l’autonomie et la résilience du terroir. Plusieurs essais menés par l’INRAE Périgord-Quercy démontrent qu’un mélange variétal améliore la résistance naturelle des blés et leur régularité productive sur dix ans (source : INRAE, publication 2021).

La polyculture-élevage, la culture associée (pois/blé, maïs/luzerne) et les systèmes bio-intensifs redonnent vitalité aux sols tout en préservant la dimension nourricière.

Consommer local, redonner du sens et de la valeur au pain

Acheter son pain chez un artisan-boulanger du Bergeracois, s’abonner à un “pain de ferme”, choisir ses farines locales : autant de gestes qui soutiennent l’emploi rural, la biodiversité, et la transmission des savoirs. Les boutiques de producteurs, marchés, AMAP et réseaux de magasins paysans jouent un rôle d’intermédiation essentiel, orientant une demande de plus en plus soucieuse du “juste” – juste prix, juste origine, juste méthode.

  • Un euro dépensé pour un pain issu du circuit court, c’est en moyenne 3 à 5 fois plus de valeur ajoutée conservée localement (source : Réseau Civam/ADEAR Nouvelle-Aquitaine).
  • Les consommateurs influencent directement l’orientation des cultures dans leur bassin de vie.

Ce maillage local est un garde-fou face à la volatilité des marchés internationaux du blé, comme l’a montré la crise du Covid-19 et la guerre en Ukraine (source : INSEE).

Ouverture : vers une filière encore plus ancrée et innovante

Le pain, les farines et les céréales du Bergeracois forment bien plus qu’une alimentation de base : ils incarnent le génie d’une terre, le savoir-faire de femmes et d’hommes qui cherchent à produire mieux, à transmettre un goût et une histoire, à inventer aussi de nouveaux modèles agricoles et alimentaires. Les écoles, cantines, restaurateurs et transformateurs locaux s’impliquent à leur tour dans la réhabilitation des pains locaux, invitant la jeunesse et les visiteurs à reconnaître la richesse de ce patrimoine vivant.

La dynamique du terroir, entre respect du passé et innovations collectives, ouvre la voie à une redéfinition du “pain quotidien” : plus qu’une habitude, une façon de nourrir durablement nos paysages, nos corps, et le lien social au sein du Périgord.

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