Les céréales du Périgord : quelles variétés composent nos paysages et nos assiettes ?

04/11/2025

Un territoire contrasté : quels facteurs influencent le choix des céréales ?

Le Périgord, qui recouvre la quasi-totalité de la Dordogne, se caractérise par une mosaïque de terroirs. Entre vallées alluviales, plateaux calcaires, bocages et causses, la diversité des sols et des microclimats guide le choix des céréales. Ce territoire connaît des précipitations relativement bien réparties (en moyenne 800 à 900 mm/an selon Météo France), des hivers tempérés et des étés généralement chauds, mais les séquences de sécheresse estivale imposent des contraintes pour certaines cultures.

Le choix des variétés est aussi dicté par des critères agronomiques et économiques :

  • Un besoin de rotation pour préserver la fertilité des sols
  • L’évolution de la demande locale : marchés bruts, meunerie, alimentation animale, conservation
  • La résilience face aux maladies et aux parasites
  • L’adaptation aux apports d’intrants (fertilisation, irrigation)

L’incontournable blé tendre : pilier des terres périgourdines

Le blé tendre (Triticum aestivum) domine le paysage céréalier de la Dordogne, tout en étant majoritairement petit producteur à l’échelle nationale (l’Occitanie pesant environ 8,5 % de la surface blé tendre en France – Source AGRESTE 2023). Le blé tendre est cultivé pour la panification, la biscuiterie, l’alimentation animale. Il s’illustre par sa capacité d’adaptation : en alternance sur les coteaux, les plateaux ou dans les vallées plus limoneuses, il puise son excellence dans les pratiques locales. Les principales variétés présentent depuis plusieurs années en Dordogne incluent :

  • Variétés modernes dominantes : Apache, Cellule, Extase, Chevignon, Filon.
    • Haute résistance aux maladies fongiques (piétin-échaudage, rouille brune, septoriose), bon potentiel de rendement (jusqu’à 70/75 qx/ha sur bonnes années)
  • Variétés de blé “anciens” : Rouge de Bordeaux, Blé de Population, Blés paysans
    • Revalorisés dans les démarches AB, paysannes et artisanales pour leur rusticité, leur intérêt nutritionnel, leur arôme prononcé et leur adaptabilité, même si leurs rendements sont moindres (35/45 qx/ha en moyenne)
  • Blé dur
    • Rare : adapté à des terres plus chaudes, utilisé pour la semoulerie (pâtes)

Depuis quelques années, la montée en puissance de l’agriculture biologique favorise le retour de variétés rustiques et locales, moins gourmandes en intrants, souvent semées en association avec des légumineuses (vesce, féverole). Les meuniers locaux affectionnent ces blés pour des farines à destination du pain “de tradition” ou “au levain”, comme l’exige la filière courte très présente (réseau ADAGE, Fermes BIO du Périgord).

Orge et orge de brasserie : entre alimentation animale et essor de la filière bière

L’orge (Hordeum vulgare) occupe également une place majeure. D’abord culture paysanne à vocation fourragère (nourrissant bovins, volailles, porcins), l’orge est aussi cultivée spécifiquement pour la brasserie artisanale, en forte croissance dans notre département (plus de 20 brasseries en 2023, selon La Nouvelle République).

  • Orge d’hiver (variétés Escadre, Toby, Mexx) :
    • Densité de tallage importante
    • Principalement destinée à l'alimentation animale
  • Orge de printemps (variétés Planet, Laureate, Chanson) :
    • Appréciée des micro-brasseurs pour la malterie
    • Bonne capacité à valoriser des sols plus légers ou pauvres

La structuration de mini-malteries et l’essor des circuits courts incitent à remettre en valeur les semis locaux d’orge. Des conventions relient même certains agriculteurs et brasseurs du Bergeracois pour des bières entièrement “made in Dordogne”.

Maïs : un géant qui s’adapte

Cultivé depuis le XVIe siècle en pays périgourdin, le maïs (Zea mays) a transformé l’agriculture de la Dordogne, surtout dans les zones de vallée et irriguées (Vallée de l’Isle, vallée de la Dordogne). Aujourd’hui, il occupe environ 22 000 hectares en Dordogne (source Chambre d’Agriculture 2023), avec une double filière :

  • Maïs grain : pour la meunerie, la nutrition animale, l’amidonnerie. Les hybrides précoces (Dekalb, Pioneer, LG) sont privilégiés.
  • Maïs ensilage : avec des variétés adaptées (LG 31.205, Simplifié, Advanta) pour fournir l’essentiel de l’alimentation des bovins viande et lait.

Le maïs reste majeur car il répond à deux enjeux locaux : production alimentaire autonome dans les fermes mixtes-élevage et préservation de la qualité des fourrages. Toutefois, la pression sur l’irrigation et les épisodes de sécheresse obligent à ajuster les semis : diversification avec sorgho, introduction des modes de culture plus sobres et beau développement du maïs issu de semences paysannes ou “tolérant stress hydrique”.

Seigle, triticale, avoine : diversité de niche et retours prometteurs

Au-delà des trois principales céréales, d’autres espèces connaissent un regain, motivé par la recherche d’alternatives résilientes. Le seigle, par exemple, occupe historiquement les terres pauvres et acides du nord et de l’est du Périgord (Double, Bessède), où il a longtemps constitué un pain rustique. Sa culture avait décliné au XXe siècle, mais on note une relance, portée par la boulangerie bio et la demande en paillage naturel.

  • Seigle :
    • Variétés de référence : Picasso, Dankowskie Slodkie
    • Résistance naturelle à la sécheresse, rendement stable (30-50 qx/ha selon années)
  • Triticale :
    • Hybride entre blé et seigle, cultivé pour sa grande rusticité et sa valeur fourragère
    • Souvent en association avec d’autres cultures pour l’alimentation animale, parfois en couvert.
  • Avoine :
    • Avoine blanche (Ivory, Progrès), pour fourrage ou production de flocons
    • Bénéfices agronomiques : amélioration de la structure du sol, production de biomasse

L’avoine reste mineure mais précieuse dans les rotations biologiques ou pour la production de semences fourragères, notamment dans les zones humides.

Épeautre, petit épeautre et variétés anciennes : un patrimoine céréale retrouvé

Le regain d’intérêt pour une alimentation plus saine, locale et l’émergence de filières “artisans-paysans” ont stimulé la (re-)plantation de céréales anciennes en Périgord. L’épeautre (“blé des Gaulois”, Triticum spelta) progresse doucement chez les producteurs bio et les fermes diversifiées.

  • Épeautre :
    • Exigeant sur qualité du sol mais très adapté aux basses fertilisations
    • Rendement modeste (25 à 35 qx/ha) mais stabilité et ressources protéiques
    • Transformé localement en farine, biscuits, pâtes ou pain d’épeautre
  • Petit épeautre (Triticum monococcum) :
    • Minoritaire mais très recherché pour l’artisanat alimentaire/sans gluten
  • Autres variétés patrimoniales : engrain, amidonnier, blés de population

L’agriculture paysanne périgourdine s’illustre ainsi dans la préservation des semences anciennes, souvent reproduites à ferme, en lien avec le réseau des Semeurs du Périgord ou l’association AgroBio Périgord. Cela répond à la fois à des enjeux de biodiversité génétique et de résilience face au changement climatique (source : AgroBio Périgord, rapport annuel 2023).

Présence discrète mais réelle du sorgho

Depuis les années 2010, le sorgho (Sorghum bicolor) fait son apparition dans les champs périgourdins touchés par la sécheresse. Culture “de sécurité” pour la nutrition animale, elle s’affiche aussi comme une alternative au maïs dans les zones contraintes par l’eau.

  • Moins exigeant que le maïs ; tolère très bien le sec
  • Valorise les mêmes machines agricoles, ce qui facilite son adoption en ferme diversifiée
  • Variétés utilisées : Hybrides IR, PR44Y90, Sweet Sorgho

Céréales et filières locales : que représentent-elles pour le territoire ?

En Dordogne, plus de 76 % des terres arables sont consacrées à la production céréalière ou protéagineuse (blé, orge, maïs, triticale, soja ; Source Agreste Dordogne 2022). Les débouchés sont très diversifiés :

  • Transformation locale : une dizaine de moulins artisanaux, de biscuiteries et un réseau dynamique de boulangeries fermières
  • Approvisionnement des filières animales : maïs ensilage-orge-triticale pour bovins (lait/viande) et aviculture
  • Malt local : malteries artisanales pour la bière et l’alimentation
  • Filières “grains” bios et AB : plus de 4 000 ha de céréales en bio, majoritairement blé tendre, orge, épeautre (source : GAB 24 – Groupement Bio Dordogne)
  • Circuits courts et paniers paysans : développement des farines, céréales brutes pour vente directe via la Boutique de producteurs ou les AMAP

Chaque céréale cultivée incarne ainsi un équilibre subtil : tradition et innovation, volume et valeur ajoutée, biodiversité et sécurité alimentaire.

Perspectives : entre innovation, transmission et terroir

Les choix agricoles du Périgord répondent à des enjeux multiples : qualité des produits, préservation de l’eau, adaptation climatique, maintien de la vie rurale et accès à une alimentation locale saine. Déjà, de nombreuses initiatives locales expérimentent les couverts végétaux, l’agroécologie, les associations céréales-légumineuses, et la valorisation accrue des céréales anciennes. Les échanges entre agriculteurs, artisans-transformateurs et consommateurs jouent un rôle moteur dans l’amélioration constante de la filière céréalière.

S’informer sur la provenance de ses céréales, privilégier les circuits courts, redécouvrir la richesse des variétés patrimoniales, soutenir les artisans-moulins ou brasseurs locaux : chacun, à son échelle, contribue à faire vivre cette tradition vivace et innovante. Le Périgord, terre de diversité, confirme que ses céréales sont bien plus qu’une récolte : elles sont une histoire partagée, à cultiver dans chaque assiette.

Sources : Chambre d’Agriculture de Dordogne ; AGRESTE Statistiques Agricoles ; ADAGE, AgroBio Périgord, GAB 24, Météo France, La Nouvelle République, rapports annuels filières céréales FranceAgriMer, enquêtes régionales.

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