Secrets d’histoire et de terroir : Les moulins artisanaux encore actifs autour de Bergerac

26/10/2025

Un patrimoine discret, vivant et fragile

Longtemps, le mouvement de la roue, le bruit doux du froment ou de la noix écrasée, étaient associés au quotidien du Périgord. Aujourd’hui, les moulins artisanaux ne font plus l’actualité, et pourtant ils sont loin d’avoir disparu. Dans la région de Bergerac, quelques-uns perpétuent leur activité, à rebours d’une époque pressée, tissant le lien entre le passé et l’avenir, entre champs, rivières et tables locales.

Pourquoi s’intéresser à ces moulins ? Parce que leur présence raconte l’attachement d’un territoire à ses produits, à ses paysages, et à la défense d’une agriculture de proximité. Les moulins artisanaux jouent un rôle clé dans la préservation des savoir-faire, participent à la vie économique locale et offrent aux consommateurs des produits aux qualités inégalées. Selon l’Association Française des Meuniers Artisans (meunierdici.fr), moins de 500 moulins artisanaux subsistent en France, dont plusieurs dizaines en Nouvelle-Aquitaine, principalement pour la transformation de la farine et de l’huile.

Quelques moulins artisanaux encore en activité dans le Bergeracois

Le Bergeracois, entre Dordogne et bastides, recèle encore certains moulins qui ont résisté aux changements de modèle agricole et industriel. Voici une sélection documentée de ceux qui continuent à tourner, parfois en toute discrétion, au service des agriculteurs locaux et des curieux.

  • Le Moulin de la Veyssière (Neuvic, à 40 km de Bergerac)

    Ce moulin, mentionné dès le XVIe siècle, est un témoin vibrant de la tradition périgourdine des huiles de noix, de noisette, et d’amande. Toujours exploité par la même famille depuis 1857, il produit une huile reconnue par plusieurs médailles au Concours Général Agricole de Paris (huilerie-veyssiere.com). Ouvert à la visite toute l’année, il illustre la transmission intergénérationnelle et la résistance face à l’industrialisation. La production reste limitée, avec environ 12 tonnes de matières premières traitées annuellement, mais la qualité justifie la fidélité d’une clientèle locale et régionale.

  • Le Moulin de la Rouzique (Couze-et-Saint-Front, à 17 km au sud-ouest de Bergerac)

    Certes connu pour sa papeterie, ce site abrite aussi une meule utilisée à la belle saison pour des démonstrations de mouture traditionnelle. Il s’agit d’un témoignage vivant du rôle des moulins dans la diversification économique du secteur, couplant activité agricole et développement industriel dès le Moyen Âge. La visite permet de comprendre le lien entre la gestion hydraulique, la fabrication alimentaire et l’artisanat de la vallée de la Dordogne (Pays Bergeracois Office de Tourisme).

  • Le Moulin de la Tour (Campsegret, à 15 km nord de Bergerac)

    Petite structure familiale offrant de la mouture à façon, ce moulin continue de recevoir les grains des paysans céréaliers locaux. Sa production est modeste mais essentielle pour quelques agriculteurs bio du secteur, qui souhaitent valoriser leurs blés anciens via une transformation locale (campsegret.fr).

  • Le Moulin de Faye (Saint-Martial-d’Artenset, limite ouest Bergeracois, 38 km)

    Ce moulin hydraulique du XVIIIe siècle, restauré par des passionnés, fonctionne de mars à octobre, principalement pour la production de farine de blé tendre et de blé dur destinés à la boulangerie artisanale. Il participe à différentes animations et marchés de producteurs du secteur de Montpon-Ménestérol.

  • Le Moulin de Cussac (Prigonrieux, 10 km ouest de Bergerac)

    Peut-être moins médiatisé, ce moulin familial propose de petites quantités de farines variées (froment, seigle), sur rendez-vous. Plutôt fréquenté par des particuliers avertis ou des boulangers locaux, il symbolise la vitalité souterraine de l’artisanat meunier dans la vallée de la Dordogne.

Pourquoi (et comment) acheter auprès de ces moulins ?

Acheter une farine issue d’un moulin artisanal, c’est opter pour :

  • La fraîcheur et la traçabilité : les grains proviennent majoritairement d’exploitations locales (moins de 30 km autour du moulin), ce qui limite le transport et renforce la relation producteur-transformateur-consommateur.
  • Le maintien de variétés anciennes et locales : certains moulins n’utilisent que des blés anciens ou des fruits à noyau issus du patrimoine génétique périgourdin, qui garantissent diversité et saveurs.
  • Le développement des circuits courts : la majorité des ventes se fait à la porte du moulin, sur les marchés de producteurs ou dans les AMAP, parfois via les boutiques collectives de producteurs comme celles de Bergerac.

Les prix pratiqués sont, certes, légèrement supérieurs à ceux de la grande distribution : comptez 2,80 à 4,50 €/kg la farine et 15 à 30 €/litre pour les huiles artisanales (source : tarifs affichés 2024). Mais ils rémunèrent équitablement toute une chaîne : paysan, meunier, artisan-boulanger ou pâtissier.

Visiter un moulin : itinéraire, astuces et rencontres

Pour encourager ces acteurs et découvrir leur univers :

  1. Renseignez-vous auprès des Boutiques de producteurs locales ou de l’Office de Tourisme Bergeracois. Beaucoup proposent des sorties collectives, des démonstrations de mouture (notamment au Moulin de la Veyssière ou à la Rouzique).
  2. Certaines journées européennes des moulins (troisième week-end de mai) sont l’occasion d’événements festifs et pédagogiques dans plusieurs sites du département (Fédération des Moulins de France).
  3. Échangez avec les meuniers et artisans sur leur parcours, leurs filières : plusieurs d’entre eux travaillent main dans la main avec céréaliers bio, syndicats apicoles ou éleveurs (pour la valorisation des tourteaux de noyaux ou des issues de mouture).
  4. Privilégiez les achats groupésou associatifs (AMAP, Ruche Qui Dit Oui, points relais en coopératives locales), qui facilitent l’accès aux produits transformés artisanalement.

À noter : la plupart de ces moulins produisent de façon saisonnière. Prévoyez un contact préalable (téléphone ou mail) avant de vous rendre sur place pour réserver vos achats ou organiser une visite.

Le rôle des moulins dans l’écosystème local

Au-delà du produit, les moulins sont des maillons cruciaux de l’équilibre rural :

  • Biodiversité et gestion des ressources : Les moulins hydrauliques participent à la gestion fine des petits cours d’eau, préservant en même temps une biodiversité aquatique unique (source : Agence de l’Eau Adour-Garonne).
  • Transmission des savoir-faire : Véritables “écoles vivantes” pour les jeunes agriculteurs ou boulangers en reconversion, ils accueillent des stages, ateliers, et formations (réseau CIVAM, Chambre d’Agriculture Dordogne).
  • Animation du tissu rural et tourisme d’itinérance : Les moulins sont aussi des points d’ancrage pour les randonnées, circuits vélo, et routes du patrimoine, dynamisant l’économie touristique hors-saison (CRT Nouvelle Aquitaine).

Moulins et avenir : défis et perspectives

Si le savoir-faire perdure, le métier de meunier artisanal est menacé. On estime que moins de 2% de la farine consommée en Nouvelle-Aquitaine provient des moulins à taille humaine (Les Échos, 2022). Les freins sont multiples :

  • Coûts énergétiques élevés (motorisation traditionnelle à eau), parfois une réglementation complexe autour des normes sanitaires.
  • Renouvellement difficile des générations, manque d’attractivité dans un secteur souvent isolé.
  • Concurrence des minoteries industrielles, qui imposent un modèle productiviste incompatible avec les rythmes artisanaux.

Pourtant, depuis la crise Covid-19, l’intérêt des consommateurs pour les produits locaux, authentiques, n’a cessé de croître. Des agriculteurs cherchent aujourd’hui à réhabiliter d’anciens moulins, à investir dans des micro-équipements ou à mutualiser transformation et distribution à l’échelle du village. Les initiatives émergent, appuyées par des réseaux nationaux et locaux, comme la Fédération des Moulins de France, la Région Nouvelle-Aquitaine ou des PTCE (Pôles Territoriaux de Coopération Économique) dédiés à la filière blé-farine-pain.

La carte des moulins actifs évolue donc, entre patrimoine, innovation et résilience.

Pour aller plus loin : Ressources et rencontres autour du Bergeracois

Rencontrer un meunier ou franchir la porte d’un moulin, c’est saisir tout ce que la ruralité peut offrir de mieux : la patience, la passion, la volonté de relier les hommes, la terre et le goût. Le Bergeracois, en gardant vivants ses moulins, montre que tout terroir vivant est aussi un territoire d’avenir.

En savoir plus à ce sujet :