Pourquoi les fruits hors saison pèsent lourd sur l’environnement : comprendre pour mieux choisir

07/08/2025

La magie des saisons et notre appétit d’immédiateté

L’attirance pour les fraises en février ou pour les myrtilles au cœur de l’hiver n’est plus un luxe rare : boutiques, supermarchés et même marchés locaux rivalisent de promesses colorées toute l’année. Pourtant, il suffit de quelques questions pour ouvrir la boîte de Pandore : d’où viennent ces fruits qui bravent le froid ? À quel prix environnemental arrivent-ils jusqu’à notre panier ? Le hors-saison, s’il répond à notre désir de variété permanente, reste mystérieux quant à son impact sur la planète. Cet article propose de lever le voile et d’apporter des repères pour ceux qui souhaitent ancrer leurs choix alimentaires dans le concret du territoire et de l’écologie.

Loin de l’arbre : la logistique invisible des fruits hors saison

Sous les apparences séduisantes, la consommation de fruits hors saison s’appuie avant tout sur deux modalités : l’importation de pays plus chauds ou la culture sous serre chauffée à proximité. Chacune de ces solutions a une empreinte environnementale spécifique, sous-estimée par la plupart des consommateurs.

  • Transport longue distance : D’après le Ministère de la Transition écologique, les importations de fruits en France représentent environ 2,8 millions de tonnes par an (2021), principalement en provenance d’Espagne, d’Italie, du Maroc, du Chili ou de l’Afrique du Sud. Ce ballet de camions, bateaux, voire d’avions pour les produits les plus fragiles (les fruits rouges notamment), aboutit à une émission de CO considérable.
  • Serres chauffées : Cultiver des tomates ou des fraises sous serre en hiver en France nécessite de maintenir des températures jusque 20 °C, même lorsque la température extérieure oscille autour de zéro. L’Ademe (Agence de la transition écologique) estime, par exemple, que la production d’un kilo de tomates sous serre chauffée en hiver génère jusqu’à 4 fois plus de CO qu’en pleine terre en saison.

Ici, la proximité géographique ne garantit donc pas toujours un bilan positif : les serres chauffées, généralement alimentées par des énergies fossiles, peuvent faire exploser l’empreinte environnementale de produits pourtant « locaux ».

Empreinte carbone : chiffres à la loupe

  • Tomates : Selon une étude du CIRED pour l’ADEME (2020), le bilan carbone d’1 kg de tomates produites sous serre chauffée en France atteint environ 2,9 kg eCO, contre 0,6 kg eCO pour des tomates de saison cultivées en plein champ.
  • Fraises : Importer 1 kg de fraises du Maroc en avion relâche jusqu’à 12 kg de CO dans l’atmosphère, d’après le Centre d’analyse stratégique.
  • Avocats, mangues, papaye : L’avocat chilien destiné au marché européen fait près de 10 000 km, la mangue du Pérou 9 000 km... Outre le transport, ces cultures sont fortement consommatrices d’eau et impliquent souvent déforestation et appauvrissement des sols (Rapport WWF France, 2019).

Cet impact explosif s’explique en grande partie par ce qu’on appelle « le coût caché de l’assiette », autrement dit le total carbone de la filière – transport, stockage, refroidissement, consommation énergétique des serres ou des chambres froides.

L’eau, une ressource sous pression

Les fruits venus de loin ou produits sous serre pèsent aussi sur les ressources en eau, tant lors de la culture que du transport. Quelques exemples :

  • Fraise espagnole : la Confédération hydrologique du Guadalquivir estime que la fraise de Huelva, région exportatrice majeure vers la France, prélève en deux mois plus de 89 millions de m d’eau pour l’irrigation, mettant sous tension les nappes phréatiques déjà fragiles.
  • Avocat du Chili : la production d’un kilo d’avocats nécessite entre 1 000 et 2 000 litres d’eau, contre 180 litres pour 1 kg de pommes (FAO, 2021).

Dans des territoires déjà menacés de sécheresse, cette pression accentue la raréfaction de l’eau, provoque l’assèchement des cours d’eau et contribue aux conflits d’usage avec la population locale et la faune.

Biodiversité : monocultures fragilisantes et déforestation

L’intensification de cultures pour l’export hors saison aboutit généralement à des monocultures étendues. Cela a plusieurs effets :

  • Appauvrissement et érosion des sols par répétition du même végétal, rendant la terre plus vulnérable, augmentant l’usage d’intrants chimiques.
  • Déforestation : pour répondre à la demande mondiale, notamment en avocats, mangues ou ananas, de vastes surfaces forestières sont converties chaque année (cf. données FAO).
  • Diminution de la biodiversité : perte d’espèces locales végétales et animales, disparition des insectes pollinisateurs sur les grandes exploitations sous plastique, comme en Andalousie.

La production hors saison est donc rarement neutre : elle bouleverse des milieux parfois fragiles, déplace massivement les équilibres écologiques et provoque parfois l’exode des producteurs locaux en raison de la pression sur les prix et les terres.

Enjeux humains : des répercussions sociales en chaîne

Les conséquences environnementales se doublent souvent de réalités sociales négligées. Voici ce qu’il faut avoir en tête :

  • Utilisation intensive de main-d’œuvre précaire : Dans les serres du sud de l’Espagne ou chez les petits planteurs de fruits exotiques, le recours à une main-d’œuvre saisonnière souvent peu protégée et faiblement rémunérée est la norme (Source : enquête IRD/Le Monde 2023 sur Huelva).
  • Concurrence déloyale et fragilisation des agriculteurs locaux : L’import massif de produits à prix cassés déséquilibre le marché français, amène certains producteurs locaux à abandonner des variétés adaptées à leur terroir et rend difficile le maintien d’une agriculture diversifiée.

L’accès aux fruits hors saison, derrière son apparente simplicité, s’accompagne donc de fragilités humaines et économiques qui finissent par retourner leurs conséquences contre la cohésion locale et la durabilité des filières agricoles.

Le stockage : un coût énergétique souvent invisible

Même certains fruits « locaux » proposés hors saison ne sont ni importés ni cultivés sous serre, mais conservés de longs mois en chambre froide. Les pommes, par exemple, peuvent rester stockées jusqu’à 9 mois après récolte, dans des conditions atmosphériques contrôlées. Selon un rapport de l’ADEME, la conservation d’1 kg de pommes dans une chambre froide classique peut émettre jusqu’à 0,3 kg de CO par an, ce à quoi il faut ajouter les pertes de saveur et de nutriments.

La consommation d’énergie pour ces infrastructures reste peu visible, mais représente en France environ 18 % de l’électricité consommée sur l’ensemble de la chaîne alimentaire (source : RTE, 2022).

Limiter l’impact : pistes concrètes pour une consommation engagée

Agir sur cet enjeu ne signifie pas renoncer à toute variété ou plaisir gustatif. Quelques gestes et repères simples permettent de limiter l’impact environnemental de sa consommation :

  1. Privilégier fruits de saison cultivés localement : la carte du Calendrier des fruits et légumes de saison (Ministère de l’Agriculture) reste le meilleur guide pratique.
  2. Éviter les produits importés par avion (fruits rouges hors Europe, cerises de contre-saison, mangues extra-fraîches…)
  3. Questionner l’origine, le mode de culture (serre chauffée, culture raisonnée…), demander plus de transparence aux distributeurs.
  4. Faire confiance aux circuits courts, AMAP, marchés de producteurs, qui garantissent généralement la saisonnalité et réduisent le recours au stockage long ou à l’import.
  5. Informer et sensibiliser, autour de soi, aux externalités moins connues du hors-saison.

Par ailleurs, certaines initiatives émergent (vergers de variétés rustiques adaptées au stockage naturel, fruits transformés localement, valorisation de la saisonnalité à la restauration collective) mais peinent à concurrencer encore la puissance logistique de l’agro-industrie internationale.

Repenser notre rapport à la nature… et à la gourmandise

À travers le prisme du fruit hors saison, c’est finalement la philosophie de notre consommation qui se pose. La saisonnalité offre bien plus qu’un simple encadrement de notre alimentation : elle participe au respect des ressources, à l’équilibre du vivant, à la sauvegarde des terroirs et à l’équité économique.

Se souvenir de la saveur des premières fraises en mai, redécouvrir les pommes rustiques de l’hiver, rencontrer les producteurs près de chez soi : chaque acte compte, à l’échelle individuelle comme collective. Car manger des fruits, ce n’est pas seulement se nourrir… c’est aussi choisir dans quel monde on veut vivre.

SOURCES :

  • Ministère de la Transition Ecologique (chiffres et études importations fruits et légumes)
  • ADEME – « L’analyse de cycle de vie des produits agricoles » et « Les impacts cachés du stockage »
  • FAO – Statistiques mondiales sur l’eau et la biodiversité
  • WWF France – Rapport sur l’impact des cultures exotiques d’exportation
  • Le Monde, Institut de Recherche pour le Développement (IRD), reportages sur la filière espagnole de la fraise
  • RTE – Rapport 2022 sur l’électricité de la chaîne alimentaire
  • Centre d’Analyse Stratégique – Empreinte carbone du panier alimentaire

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