Panorama des levains utilisés dans le pain paysan de notre territoire

31/10/2025

Qu’est-ce que le levain ? Un « chef » à multiples visages

Le levain est un mélange vivant de farine et d’eau qui, grâce à la fermentation naturelle, permet de faire lever la pâte à pain grâce à l’action combinée de bactéries lactiques et de levures sauvages présentes dans l’air, sur le grain de blé et dans le milieu. À la différence de la levure de boulanger industrielle, qui contient principalement Saccharomyces cerevisiae, le levain offre une diversité microbienne remarquable : plusieurs dizaines d’espèces de levures et de bactéries peuvent coexister, selon la méthode employée et l’environnement du boulanger.

  • Levain naturel : Le plus ancien, résultant d’une simple fermentation spontanée, il est cultivé et entretenu par des rafraîchis successifs.
  • Levain liquide vs levain ferme : Selon la proportion d’eau, le levain acquiert des caractéristiques différentes. Un levain liquide (hydratation supérieure à 100 %) favorise une mie alvéolée et des arômes plus lactiques. Un levain ferme (autour de 50 % d’hydratation) donnera une mie plus dense et une typicité plus marquée.
  • Levain dur ou levain chef : Dans les traditions occitanes et périgourdines, on retrouve le « chef », une portion du levain précieux, conservée et transmise de génération en génération, souvent sous une forme ferme.

Sources : INRAE (« Le grand livre du pain au levain »), LaFiliereBoulangerie.fr.

Les principaux types de levains utilisés dans la boulangerie locale

Levain de blé : pilier du Sud-Ouest

Dans la majorité des fournils paysans et artisanaux de Dordogne, c’est le levain de blé qui règne en maître. Il s’obtient avec de la farine locale, si possible moulue sur meule de pierre, et de l’eau de source ou de puits. L’utilisation du blé ancien, cultivé en bio ou en agriculture paysanne, favorise une fermentation riche : on y retrouve fréquemment la coexistence de Saccharomyces cerevisiae, Saccharomyces exiguus et divers lactobacilles.

  • Apporte une saveur acidulée modérée, parfois même douce selon l’entretien.
  • Donne une mie souple, bien développée, idéale pour le pain de campagne ou les miches épaisses.
  • Temps de fermentation entre 12 et 24h, ce qui complexifie les arômes et améliore la digestibilité.

Fait remarquable : Selon une étude du CNRS sur 500 levains en France (The Conversation), la diversité microbienne des levains de blé périgourdins surpasse souvent celle des levains plus industrialisés, notamment dans les fournils entretenus en bio ou en biodynamie.

Levain de seigle : mémoire rurale et richesse aromatique

Moins courant mais très ancré dans les terres froides ou humides du Périgord noir et des Causses, le levain de seigle est utilisé pour des pains plus rustiques. Le seigle, céréale robuste, favorise le développement rapide des bactéries lactiques au détriment des levures, ce qui donne :

  • Des arômes beaucoup plus acides, prononcés, parfois épicés ou « maltés ».
  • Une mie sombre, compacte, excellente conservation (parfois dix jours sans sécher !), précieuse pour les fermes isolées ou les marchés hebdomadaires.
  • Une réputation de pain « santé » : index glycémique bas, meilleure teneur en micronutriments, et véritable soutien pour la biodiversité microbienne locale (France 3 Nouvelle-Aquitaine).

Levain mixte : innovation artisanale et adaptation aux saisons

De plus en plus de boulangers locaux optent pour un levain mixte, associant blé et seigle, parfois épeautre ou petit épeautre, pour s’adapter à la saisonnalité des céréales et diversifier les arômes. Cette méthode permet :

  • D’équilibrer acidité et douceur dans le pain
  • D’augmenter la stabilité du levain, notamment lors des variations de température
  • D’apporter une palette aromatique personnalisée, chaque boulanger jouant selon ses récoltes et son savoir-faire

Certains boulangers ajoutent au levain une petite quantité de miel sauvage ou de jus de pommes locales afin d’activer naturellement la fermentation, une pratique attestée historiquement dans plusieurs villages du Bergeracois.

Pourquoi le choix du levain impacte-t-il la qualité du pain local ?

Du goût et de la texture : la signature du terroir

Le levain, en se nourrissant des sucres complexes des farines locales, crée une symphonie d’arômes et une richesse de texture difficilement reproductibles ailleurs :

  • Les pains au levain local développent une acidité maîtrisée, jamais agressive, mais toujours vibrante. Goûtez une miche du marché de Bergerac : la croûte libère souvent des notes de noisette ou de caramel.
  • La mie reste longtemps souple, ce qui explique que les pains paysans, cuits au four à bois, se conservent plusieurs jours sans rassir.

Une digestibilité améliorée

La fermentation longue du levain naturel dégrade partiellement le gluten et les phytates (antinutriments présents dans la céréale entière), rendant le pain plus digeste et les minéraux mieux assimilés (Alimentation Santé).

  • Les pains industriels, même dits « au levain », contiennent souvent des ajouts de levures qui accélèrent la pousse sans apporter ces mêmes bénéfices nutritionnels.

Un lien direct avec la biodiversité microbienne locale

Chaque levain, par son environnement (cave, ferme, atelier), est unique : il « pioche » dans l’air, la farine, les ustensiles, une vie invisible qui raconte le lieu. On parle de « levains de terroir », aussi singuliers que les levains de vignerons en vin naturel.

Des pratiques paysannes qui traversent le temps

Dans le Périgord, il est courant que les boulangers issus d’une même famille se transmettent le levain comme un patrimoine : on conserve un morceau du levain chef, parfois séché en boule ou enfoui dans la farine entre deux fournées. On dit dans certains villages qu’« un fournil sans levain, c’est une maison sans feu ».

Au XIXe siècle, selon l’ethnologue Maurice Robert (« La Boulange en Périgord », 1986), on utilisait aussi d’anciens levains ensemencés avec des plantes aromatiques (romarin, genévrier) ou des moûts de raisin lors des vendanges, apportant des arômes subtils ou une fermentation plus vive pendant la saison froide.

Actuellement, plusieurs producteurs et fermes affiliés au syndicat Simples ou à l’association Pain Paysan poursuivent la redécouverte et l’adaptation locale : certains réintroduisent du pain de maïs, aliment de pauvreté du XIXe siècle, en adaptant le levain aux variétés paysannes rustiques (source : painpaysan.org).

Comment reconnaître un pain au levain artisanal dans nos marchés ?

  • Label « pain au levain naturel » : Recherche d’un affichage précis : le terme levain seul n’impose pas toujours une utilisation exclusive sans levure ajoutée.
  • Réseau « De la ferme au fournil » : En Nouvelle-Aquitaine, près de 85 % des boulangers paysans déclarent produire leur propre levain, sans achat de levure externe (source : Réseau Boulangerie Paysanne 2023).
  • Aspect : Croûte plus foncée, irrégulier, mie crème ou grise et arômes complexes. Une légère acidité en bouche témoigne de la vraie fermentation lente.

Vers une (re)découverte du levain dans la région

Autrefois relégué aux marges rurales, le pain au levain a regagné ses titres de noblesse. Les consommateurs recherchent ces pains vivants pour leurs qualités nutritionnelles, leur goût inimitable et leur ancrage local. Les ateliers de formation se multiplient, comme à la Maison de la Biodiversité alimentaire de Douville, où chaque année, plus d’une centaine de participants redécouvrent les gestes et les secrets du levain.

Le levain, loin d’être un simple ingrédient, est le fil vivant qui relie chaque pain à son terroir, à l’histoire locale, et à une agriculture respectueuse des sols et du temps long. Et demain, qui sait ? Peut-être que d’autres traditions renaîtront, réinventant les levains selon les saisons, les fruits locaux ou les savoir-faire oubliés de nos campagnes.

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