Choisir les farines locales de blés anciens : un acte responsable et savoureux

24/10/2025

Le retour en force des blés anciens : une dynamique qui interroge notre alimentation

Parmi les rayons de nos épiceries et halles paysannes, une discrète révolution : la montée en puissance des farines issues de blés anciens. Derrière cette tendance de fond, une quête de sens, de goût, mais aussi de cohérence environnementale et sociale. Pourquoi privilégier aujourd’hui ces farines, souvent un peu plus chères et parfois moins faciles à travailler que les classiques farines industrielles ? La réponse se niche dans l’histoire même de nos paysages agricoles, mais aussi dans votre assiette et votre santé.

Blés anciens vs blés modernes : quelles différences concrètes ?

Le terme « blés anciens » recouvre en réalité une grande diversité de variétés sélectionnées avant l’ère de l’agriculture intensive, c’est-à-dire avant les années 1950. On y retrouve, par exemple, le Rouge de Bordeaux, l’ (engrain), le Kamut, le blé poulard ou le blé de population. À l’inverse, les blés « modernes » sont des variétés sélectionnées pour leur rendement élevé, leur résistance à la verse et leur standardisation.

  • Origine et biodiversité : Moins productifs que les blés modernes, les blés anciens présentent une grande diversité génétique. Cela permet une meilleure adaptation locale au terroir et une plus forte résilience face aux maladies (source : INRAE).
  • Mode de culture : Les blés anciens se cultivent souvent sans intrants chimiques. Leur rusticité les rend adaptés à l’agriculture biologique ou en conversion, favorisant ainsi la fertilité naturelle des sols.
  • Structure et qualité du gluten : Les farines issues de blés anciens contiennent généralement un gluten moins modifié que les blés modernes, parfois mieux toléré par les personnes sensibles (mais non allergiques ou atteintes de maladie cœliaque : source : Anses).

Les enjeux nutritionnels : une farine plus riche et mieux tolérée ?

Un argument souvent avancé en faveur des farines de blés anciens : leur meilleure valeur nutritionnelle. Plusieurs études pointent une plus grande diversité de minéraux, de vitamines (en particulier B2, B5 et E), d’antioxydants mais aussi une richesse supérieure en fibres.

  • Un index glycémique plus bas ? Certaines recherches (Harvard School of Public Health, 2020) montrent que certains blés anciens, en particulier l’Einkorn et l’épeautre, ont un index glycémique plus bas que les blés raffinés classiques.
  • Des micronutriments mieux préservés : La mouture à la meule de pierre, souvent pratiquée dans les moulins locaux, permet de conserver davantage de son et de germe. Résultat : plus de magnésium, de zinc et de phosphore dans la farine finale (source : CIVAM Bio).
  • Tolérance digestive : Selon plusieurs témoignages de diététiciens et de consommateurs, ces farines seraient plus digestes. L’explication tient en partie à la structure du gluten mais aussi à la moindre transformation industrielle.

Des saveurs uniques et variées : redécouvrir le vrai goût du pain

L’unanimité se fait sur ce point : les farines de blés anciens délivrent des palettes aromatiques beaucoup plus larges. Un pain à la farine de Rouge de Bordeaux révèle des notes toastées et parfois noisettées ; le pain d’engrain évoque la noisette et une certaine douceur sucrée. De nombreux boulangers « au levain » plébiscitent ces farines pour leur caractère, leur authenticité, bien loin de la neutralité organoleptique des farines ultra-raffinées.

  • Saveurs régionales : Les terroirs laissent s’exprimer les microclimats et les sols dans la céréale, offrant un « goût de lieu ».
  • Texture du pain : Les pains aux farines anciennes ont souvent une mie plus dense, une croûte plus développée et conservent mieux l’humidité.
  • Retour aux « pains nourrissants » : Leur pouvoir rassasiant supérieur est souvent cité comme un vrai atout pour une alimentation équilibrée.

Préserver la biodiversité agricole et les paysages

La relance des cultures de blés anciens participe à la préservation de la biodiversité cultivée, aujourd’hui fortement menacée : plus de 70 % des variétés de blé cultivées dans le monde ont disparu au profit de lignées standardisées (FAO, 2019). Or, maintenir cette diversité, c’est garantir l’adaptabilité des cultures aux changements climatiques.

  1. Un rempart contre l’appauvrissement génétique : Chaque blé ancien planté contribue à élargir le patrimoine vivant local.
  2. Moins d’intrants et d’irrigation : Leur rusticité permet de limiter voire d’éviter l’usage de fongicides, d’herbicides et d’engrais azotés. Un point essentiel dans des régions à stress hydrique.
  3. Soutenir la polyculture-élevage : Les rotations longues nécessaires à ces céréales bénéficient à l’ensemble des cultures et à la conservation des sols.

Soutenir l’économie locale et les circuits courts

Privilégier des farines issues de blés anciens cultivés localement, c’est soutenir un tissu de petits paysans, de meuniers et de boulangers souvent engagés. Le modèle dominant, avec ses filières longues et anonymes, laisse la place ici à une économie de proximité.

  • Un juste revenu pour les agriculteurs : Les variétés anciennes, moins productives (15 à 30 q/ha vs. 60 à 90 q/ha pour les blés modernes – source : Arvalis Institut du Végétal), se vendent souvent mieux valorisées grâce à leur histoire et à leurs qualités spécifiques.
  • Création d’emplois non délocalisables : Le développement de moulins artisanaux, la fabrication de pains au levain, la vente directe stimulent l’emploi en ruralité (source : Syndicat des Agriculteurs Paysans – 2023).
  • Transparence et lien producteur-consommateur : Pouvoir identifier l’origine du grain, connaître le nom du meunier ou du boulanger : c’est le fondement du circuit court.

Limiter l’empreinte carbone de l’alimentation

Faire le choix du local, c’est réduire la distance parcourue par les matières premières et donc les émissions de CO2. Selon l’ADEME, la farine conventionnelle parcourt en moyenne près de 1 000 km entre champ, moulin, entrepôt et consommateur final. Les moulins locaux et les ventes directes compressent cette distance de 60 à 80 %.

  • Moins de transport : baisse directe de la consommation d’énergies fossiles.
  • Moins d’emballages et de logistique lourde.
  • Valorisation de « petits lots » : baisse du gaspillage, offre plus flexible.

Questions pratiques : où et comment acheter ces farines locales ?

On trouve aujourd’hui des farines issues de blés anciens chez de nombreux producteurs locaux, dans les Boutiques de Producteurs, sur les marchés de village, via les AMAP, ou directement à la ferme. Certains moulins artisanaux proposent même la mouture à façon pour qui souhaite transformer sa propre production.

  • Vérifier la mention de la variété sur le paquet : nombre de vrais producteurs indiquent la variété : une garantie d’authenticité.
  • Préférer la mouture sur meule de pierre ; elle préserve mieux les nutriments et la fraîcheur.
  • Pour la pâtisserie, oser mélanger plusieurs farines de blés anciens : chaque variété apporte sa note et son comportement.

Accompagner le changement chez soi : idées et conseils d’utilisation

Farine de khorasan (Kamut), engrain, épeautre… toutes ne s’utilisent pas de la même façon que la farine T55 des rayons industriels. Petit mode d’emploi pour réussir la transition :

  • Hydratation : Les farines anciennes absorbent parfois davantage d'eau que les farines modernes. Ajustez vos recettes en conséquence.
  • Pétrissage : Certaines nécessitent un pétrissage plus doux. Les pains à base de blé ancien apprécient la fermentation lente, au levain naturel.
  • Mixité : Mélanger avec une farine plus classique est tout à fait possible pour s’habituer progressivement à la texture et au goût.
  • Côté cuisine : Les saveurs authentiques de ces farines se révèlent aussi bien en pain, qu’en crêpes, biscuits ou pâtes fraîches maison.

Vers une nouvelle alimentation ancrée dans les terroirs

La redécouverte des blés anciens n’a rien de nostalgique : c’est une réponse contemporaine à des défis sanitaires, économiques et environnementaux. En privilégiant ces farines, chaque consommateur redevient acteur d’une alimentation de territoire, respectueuse des sols, du vivant et du lien humain.

Un achat, un pain, une galette de blé ancien, ce sont autant de gestes qui cultivent la diversité, soutiennent des femmes et des hommes passionnés et garantissent la vitalité de nos campagnes. À chacun de (re)faire vivre un patrimoine millénaire, au rythme des saisons et des rencontres.

Sources principales Lien
INRAE : Dossier Blé ancien/blé moderne https://www.inrae.fr/actualites/ble-ancien-et-ble-moderne-vraiment-differences
FAO : Rapport diversité céréalière http://www.fao.org/3/i2801f/i2801f.pdf
ADEME – Alimentation : empreinte carbone ademe.fr
Harvard : Etude index glycémique des céréales hsph.harvard.edu
CIVAM Bio : Farines locales et santé civam-bio.fr
Anses : Gluten et santé anses.fr

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