Le secret laitier des fromages du Périgord : races, territoires et savoir-faire

29/09/2025

Introduction : l’identité du fromage commence dans le pré

Impossible d’évoquer l’âme des fromages fermiers du Périgord sans remonter à la source : le lait. Or, tous les laits ne naissent pas égaux. Petits troupeaux dispersés au fil des vallées, diversité de paysages, choix raciaux typiques ou oubliés… Ici, le caractère d’un fromage est intimement lié au cheptel qui le nourrit. Pourquoi certaines races sont-elles préférées pour la fabrication des cabécous, tomes ou bleus fermiers ? Le choix du producteur impacte-t-il goût, texture et typicité ? Quels liens entre biodiversité agricole et plaisir de la dégustation ? Décryptage, chiffres à l’appui, d’un sujet où chaque animal pèse dans la balance.

Le Périgord, terre de fromages et de biodiversité

Le Périgord, mosaïque de bocages, de plateaux calcaires et de forêts, bénéficie de conditions variées favorables à l’élevage laitier. Depuis plusieurs siècles, la région valorise un élevage à taille humaine, souvent basé sur des savoir-faire paysans, des races rustiques et une alimentation largement issue du pâturage.

Les fromages fermiers du Périgord (crémeries artisanales, AOP Rocamadour pour le proche Quercy, tommes, fromages de chèvre affinés…) se distinguent par une palette organoleptique riche. Au-delà de la technique fromagère, la nature du lait utilisé joue un rôle central – d’où l’importance cruciale du choix de la race.

Races de vaches laitières en Périgord : une diversité au goût du terroir

Entre grandes laitières et races du cru

Dans le Périgord, comme partout en France, la tendance dominante reste l’utilisation de races bovines « universelles », mais on assiste à une valorisation croissante des races anciennes ou rustiques.

  • La Montbéliarde : Originaire du Jura mais désormais bien implantée, elle est appréciée pour son lait riche en protéines (en moyenne 33,5g/L) et en matière grasse (39g/L). C’est un atout pour les fromages à pâte pressée et les affinages longs (source : Idele).
  • La Prim’Holstein : Championne du volume avec des rendements excédant 9 000 litres par lactation, elle a longtemps dominé le secteur laitier local, même si son lait plus « maigre » (32g/L de matière grasse, 32g/L de protéines) la rend moins adaptée à certains fromages traditionnels.
  • La race Limousine : Principalement allaitante, cette emblématique locale fournit un lait peu abondant mais exceptionnellement adapté aux petits fromages fermiers riches en caractère, lorsqu’elle est mugie pour le lait (source : UPRA Limousin). Anecdote : certains producteurs du Périgord noir transforment encore ce lait pour des recettes confidentielles de tommettes et caillés, reflet d’une agrodiversité préservée.
  • La Simmental française : Reconnue pour la qualité de son lait, qui conjugue taux élevés de protéines (34 à 37g/L) et de matières grasses (environ 39g/L). Sa résistance et sa capacité à pâturer favorisent la diversité aromatique des fromages qui en sont issus (source : Idele).
  • L’Abondance et la Tarentaise : Moins fréquentes mais présentes chez quelques passionnés. Leurs laits, riches en bêta-carotène, donnent légèrement une teinte dorée aux fromages et une finesse de saveurs signalée par les jurys (source : CNPL).

Critères décisifs : matière grasse vs. protéines et rendements

Les producteurs fermiers du Périgord privilégient généralement la Montbéliarde ou la Simmental pour les fromages à pâte pressée, en raison de leur équilibre matière grasse-protéine. Les élevages mixtes (lait/viande), attachés aux races locales comme la Limousine ou l’Aubrac, valorisent leur lait pour de petites productions artisanales. Les statistiques INRAE (2021) confirment que, pour 1kg de tomme fermière, il faut en moyenne :

  • 8 litres de lait de Prim’Holstein
  • 7,5 litres de lait de Montbéliarde
  • 7 litres de lait de Simmental
La différence, même minime, influence rendement, texture et arômes, du fait de la qualité des caséines et des acides gras.

Races de chèvres : l’ADN des cabécous et autres fromages de caractère

Une filière fondée sur la diversité génétique

Le « cabécou de Dordogne », bien que non AOP, incarne mieux que quiconque l’esprit du fromage de chèvre périgourdin : petit, crémeux, cendré ou affiné à cœur, aux arômes de noisette. Mais quelle chèvre en donne le lait ?

  • La Saanen : D’origine suisse, elle s’est imposée dans la région pour son excellent rendement (jusqu’à 900 litres par campagne), sa régularité et la neutralité relativement douce de son lait. Elle compose une large part du cheptel laitier local.
  • L’Alpine : Race française par excellence, adaptée au climat périgourdin, remarquable par une production robuste (800 à 950 litres/campagne) et par une riche diversité aromatique. Son lait, bien équilibré (environ 36g/L de matière grasse, 33g/L de protéines), révèle tout le potentiel du terroir.
  • La Poitevine : Rare mais précieuse, la Poitevine convainc de plus en plus de fermiers exigeants par la typicité de son lait parfumé. Sa rusticité et sa contribution à la biodiversité sont reconnues par l’Institut de l’Élevage (source : Races Poitevines).
  • La chèvre des Pyrénées : Autochtone du Sud-Ouest, menacée d’extinction dans les années 1980 (moins de 350 têtes selon l’Association Chèvre des Pyrénées, source), elle incarne le petit élevage paysan du Périgord noir, avec un lait corsé, naturellement adapté aux fromages affinés.

Facteurs influant sur la qualité fromagère du lait caprin

La richesse en matière sèche, la présence de certaines protéines (notamment la bêta-caséine), la teneur en acides gras à chaîne moyenne et la typicité aromatique sont les clés d’un bon lait à fromage de chèvre. L’INRAE recense des différences pouvant aller jusqu’à 10 % dans la teneur en matières grasses d'une race à l’autre, ce qui agit directement sur le moelleux et l’affinage des fromages à pâte molle.

  • La Saanen offre un lait doux, parfait pour les fromages frais et laits caillés.
  • L’Alpine et la Poitevine sont plébiscitées pour les fromages affinés type cabécou et crottin, pour leurs saveurs expressives et leur aptitude à la maturation longue.

Bon à savoir : selon la saison et l’alimentation (foin, pâturage, châtaigneraies), la saveur du lait fluctue. Un cabécou d’automne, nourri à la glandée, ne ressemblera jamais à son cousin du printemps.

Paroles de fermes : choix raciaux et pratiques en Dordogne

Le tissu agricole du Périgord, loin d’être monolithique, évolue vers davantage de valorisation des races traditionnelles pour préserver goût et biodiversité. Certains troupeaux, comme ceux de la chèvrerie de la Ferme de la Croix Blanche (Saint-Avit-Sénieur), mêlent Poitevine et Alpine pour composer des fromages d’exception commercialisés localement et primés aux concours agricoles (source : Département Dordogne).

Du côté des vaches, plusieurs fermes du Périgord vert expérimentent de petits lots de Limousines laitières pour proposer des tommes au goût franc, réservées aux marchés locaux ou aux circuits courts (voir reportage France 3 Régions). Une anecdote illustre bien l’originalité locale : la micro-fromagerie du hameau de la Nizonne confectionne des bleus fermiers à partir d’un assemblage audacieux de lait de Montbéliarde et de Simmental, affinés en grotte naturelle pour renforcer l’empreinte du « goût Périgord ».

Saisonnalité, alimentation et circuits courts : au cœur de la qualité laitière

Race, mais aussi alimentation et mode d’élevage sont déterminants. Les pratiques majoritaires dans le Périgord privilégient :

  • Pâturage extensif : 73 % des exploitations caprines et bovines en Dordogne déclarent mettre leurs animaux en extérieur plus de 8 mois par an (chiffres Chambre d’Agriculture 2021).
  • Conservation des prairies naturelles : garantissant une flore variée et la typicité du lait.
  • Circuit court : 60% des producteurs fermiers de lait en Dordogne transforment une part intégrale de leur production en fromages fermiers, vendus sur place ou en boutiques de producteurs.

L’alimentation influe directement sur la composition grasse du lait, mais aussi sur la palette aromatique des fromages. Ainsi, un lait d’été, riche en herbes fraîches et légumineuses, offrira des arômes plus complexes qu’un lait d’hiver.

Pour aller plus loin : préserver le patrimoine, dynamiser le goût

Si les races comme la Montbéliarde, la Simmental, la Saanen ou l’Alpine dominent, le regain d’intérêt pour les alternatives rustiques (Limousine laitière, chèvre des Pyrénées, Poitevine) traduit une volonté de différencier l’offre et de préserver un patrimoine génétique précieux. Les exploitations qui font ce choix obtiennent certes des volumes plus modestes, mais garantissent une typicité plus marquée, un meilleur ancrage local et souvent une meilleure acceptabilité par les consommateurs en quête de sens et de goût.

Face à la standardisation des laits et aux défis du changement climatique – qui modifie la disponibilité des ressources fourragères – les éleveurs du Périgord oscillent entre modernité et tradition. Le renouveau de certaines races oubliées, les expérimentations autour de mélanges de laits (vache-chèvre) ou d’utilisation de pâturages multi-espèces ouvrent d’ailleurs la voie à une nouvelle génération de fromagers, attentifs à la fois à la biodiversité, à la qualité du lait et à l’empreinte territoriale de leur production.

Le terroir laitier du Périgord, c’est donc un subtil équilibre entre respect des races adaptées au territoire, pratiques paysannes, créativité fromagère et engagement pour la sauvegarde des patrimoines vivants. Goûter un fromage fermier ici, c’est choisir bien plus qu’un aliment : c’est partager la diversité, la saison et l’histoire d’un troupeau local sur sa terre.

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